Dans les colonnes du journal “Le Courrier Cauchois” No 3734 Vendredi 26 avril 2019 SUPPLEMENT Immobilier :
La fin de la réserve héréditaire ?
L’héritage va-t-il disparaître du droit français ? La réflexion du gouvernement sur la réserve héréditaire crée le débat.
Les récents mouvements sociaux ont conduit le gouvernement à réfléchir à des moyens d’améliorer le pouvoir d’achat des Français, et de développer ce qu’on appelle aujourd’hui l’économie de bien-être qui garantit plus de justice sociale. C’est dans ce contexte que la réflexion sur la réserve héréditaire a resurgi. Mais la perspective de réformer le régime de la réserve héréditaire oppose les partisans d’une libéralisation élargie et les défenseurs de la famille. Maître Yves Bennaouar, notaire à Caudebec-en-Caux, soulève les problématiques.
Le Courrier Cauchois: Quels sont, selon vous, les risques que la réflexion gouvernementale fait peser sur la société?
Me Yves Bennaouar : Comme vous le savez, la réserve héréditaire est un rempart qui empêche de déshériter un, plusieurs ou tous ses enfants. Lorsque le conflit sur la succession de Johnny Hallyday a été révélé, beaucoup de Français ont découvert qu’il y a une autre conception de la famille outre-Atlantique. Aujourd’hui, il est communément admis que déshériter un enfant pose problème. La réflexion gouvernementale sur la réserve héréditaire porte, de mon point de vue, les germes d’une libéralisation progressive des successions qui risque de fragiliser un grand pilier du droit de la famille. Aujourd’hui, on dit que la réflexion ne porte que sur un assouplissement de la réserve héréditaire pour développer les dons aux fondations.
Le but est certes louable, mais force est de constater que cette perspective risque de conduire plus tard à une libéralisation plus poussée des successions. C’est pourquoi j’estime qu’il y a péril en la demeure.
Certains estiment que la libéralisation des successions par la suppression de la réserve héréditaire serait une mesure économique et sociale bénéfique…
Je serais tenté de dire qu’une mesure économique et sociale n’est bénéfique que lorsqu’elle est le fruit d’une réflexion qui ne heurte pas les valeurs de la société à laquelle on veut l’appliquer.
L’idée de réformer la réserve héréditaire a resurgi dans la foulée des récents mouvements sociaux qui ont pointé du doigt le pouvoir d’achat et l’écart qui ne cesse de se creuser entre les riches, les moins riches et les pauvres. Le patrimoine
privé ou familial n’a pas vocation à assurer une quelconque justice sociale; c’est la vocation et le rôle du trésor public.
Derrière l’atteinte à la notion d’héritage, ne serait-ce pas l’idée même de famille qui est dans le collimateur de l’exécutif?
Je ne dirais pas que la famille est dans le collimateur de l’exécutif. Disons plutôt que la réflexion sur la réserve héréditaire vise à puiser dans la réserve familiale pour financer une politique sociale.
Ce raisonnement trouve son fondement dans l’absolutisme du droit de propriété qui permet au détenteur d’un patrimoine d’en jouir, d’en user et d’en abuser. Déshériter un enfant sonne comme un acte arbitraire qui puise son fondement dans le caractère absolu du droit de propriété. Je pense qu’il n’est pas prudent de mettre le pays sur une vague scélérate de libéralisations tous azimuts qui risque d’ébranler la confiance à l’intérieur des familles déjà fragilisées par les bémols des nouvelles technologies qui sont en train de réduire le contact humain à une peau de chagrin.
Le Gouvernement argumente qu’en finir avec la réserve héréditaire permettrait un soutien plus efficace aux associations caritatives?
Le notaire et l’avocat sont des professionnels de droit qui se chargent aussi, chacun dans sa sphère de compétence, des successions internationales. Ces deux professionnels s’intéressent donc forcément au droit comparé, ce qui m’a permis de relever que la mesure envisagée existe déjà ailleurs : c’est une pratique très ancienne qui trouve son fondement dans les successions en droit musulman. Dans certains pays, il existe en effet une institution religieuse et caritative publique qui reçoit et gère les patrimoines qui lui sont en quelque sorte légués. Pour cette institution, l’opération est très bénéfique puisqu’elle fructifie son patrimoine, mais pour le conjoint et les enfants du défunt, c’est souvent dramatique parce qu’elle les déshérite.
Déshériter un de ses enfants n’est pas un acte anodin. C’est une sanction qui ne frappe jusqu’à présent que le descendant qui commet un crime grave contre son ascendant.
Le premier constat qui s’impose déjà à ce stade est que si l’on déshérite un descendant, comme par exemple celui qui choisit de vivre libre, digne et indépendant, on l’assimile à l’auteur de cette infraction abominable, alors qu’il s’est peut-être éloigné de sa famille pour des raisons légitimes qu’il veut garder dans son for intérieur. Par ailleurs, déshériter un enfant entre aussi en conflit avec le commandement du pardon qui permet de préserver la pérennité des liens
familiaux en particulier. D’un autre côté, déshériter un enfant pour sauver une fondation en difficulté ma paraît peu conforme à l’idée que l’on se fait des fondations qui elles-mêmes défendent la famille.
D’une part, la mesure envisagée risque d’entrer en conflit avec la loi de 1905 sur la laïcité et d’autre part, il est de notoriété publique que beaucoup de Français, fortunés ou pas d’ailleurs, contribuent déjà volontairement au soutien des associations en général, et des associations caritatives en particulier, financièrement ou via le bénévolat.
Du coup, quelle piste travailler?
L’impôt reste le plus sûr garant d’une justice sociale et d’une paix durable. De mon point de vue, mieux vaut engager une réforme fiscale qui concilie les riches et les pauvres entre eux, sans frustrer les premiers, et sans stigmatiser les seconds, au lieu de penser à libéraliser les successions. On peut ainsi songer à alléger le poids des impôts en faveur de la classe moyenne et des familles modestes, et à rénover les règles qui régissent le patrimoine d’affectation en créant des incitations fiscales qui encourageraient les riches à affecter une partie de leur patrimoine, ne serait-ce que sous forme de compte courant, au soutien à la création et au développement des petites et moyennes entreprises.
ENTREVUE ACCORDÉE AU JOURNAL “LE COURRIER CAUCHOIS”.
Dans les colonnes du journal “Le Courrier Cauchois” No 3734 Vendredi 26 avril 2019 SUPPLEMENT Immobilier :
La fin de la réserve héréditaire ?
L’héritage va-t-il disparaître du droit français ? La réflexion du gouvernement sur la réserve héréditaire crée le débat.
Les récents mouvements sociaux ont conduit le gouvernement à réfléchir à des moyens d’améliorer le pouvoir d’achat des Français, et de développer ce qu’on appelle aujourd’hui l’économie de bien-être qui garantit plus de justice sociale. C’est dans ce contexte que la réflexion sur la réserve héréditaire a resurgi. Mais la perspective de réformer le régime de la réserve héréditaire oppose les partisans d’une libéralisation élargie et les défenseurs de la famille. Maître Yves Bennaouar, notaire à Caudebec-en-Caux, soulève les problématiques.
Le Courrier Cauchois: Quels sont, selon vous, les risques que la réflexion gouvernementale fait peser sur la société?
Me Yves Bennaouar : Comme vous le savez, la réserve héréditaire est un rempart qui empêche de déshériter un, plusieurs ou tous ses enfants. Lorsque le conflit sur la succession de Johnny Hallyday a été révélé, beaucoup de Français ont découvert qu’il y a une autre conception de la famille outre-Atlantique. Aujourd’hui, il est communément admis que déshériter un enfant pose problème. La réflexion gouvernementale sur la réserve héréditaire porte, de mon point de vue, les germes d’une libéralisation progressive des successions qui risque de fragiliser un grand pilier du droit de la famille. Aujourd’hui, on dit que la réflexion ne porte que sur un assouplissement de la réserve héréditaire pour développer les dons aux fondations.
Le but est certes louable, mais force est de constater que cette perspective risque de conduire plus tard à une libéralisation plus poussée des successions. C’est pourquoi j’estime qu’il y a péril en la demeure.
Certains estiment que la libéralisation des successions par la suppression de la réserve héréditaire serait une mesure économique et sociale bénéfique…
Je serais tenté de dire qu’une mesure économique et sociale n’est bénéfique que lorsqu’elle est le fruit d’une réflexion qui ne heurte pas les valeurs de la société à laquelle on veut l’appliquer.
L’idée de réformer la réserve héréditaire a resurgi dans la foulée des récents mouvements sociaux qui ont pointé du doigt le pouvoir d’achat et l’écart qui ne cesse de se creuser entre les riches, les moins riches et les pauvres. Le patrimoine
privé ou familial n’a pas vocation à assurer une quelconque justice sociale; c’est la vocation et le rôle du trésor public.
Derrière l’atteinte à la notion d’héritage, ne serait-ce pas l’idée même de famille qui est dans le collimateur de l’exécutif?
Je ne dirais pas que la famille est dans le collimateur de l’exécutif. Disons plutôt que la réflexion sur la réserve héréditaire vise à puiser dans la réserve familiale pour financer une politique sociale.
Ce raisonnement trouve son fondement dans l’absolutisme du droit de propriété qui permet au détenteur d’un patrimoine d’en jouir, d’en user et d’en abuser. Déshériter un enfant sonne comme un acte arbitraire qui puise son fondement dans le caractère absolu du droit de propriété. Je pense qu’il n’est pas prudent de mettre le pays sur une vague scélérate de libéralisations tous azimuts qui risque d’ébranler la confiance à l’intérieur des familles déjà fragilisées par les bémols des nouvelles technologies qui sont en train de réduire le contact humain à une peau de chagrin.
Le Gouvernement argumente qu’en finir avec la réserve héréditaire permettrait un soutien plus efficace aux associations caritatives?
Le notaire et l’avocat sont des professionnels de droit qui se chargent aussi, chacun dans sa sphère de compétence, des successions internationales. Ces deux professionnels s’intéressent donc forcément au droit comparé, ce qui m’a permis de relever que la mesure envisagée existe déjà ailleurs : c’est une pratique très ancienne qui trouve son fondement dans les successions en droit musulman. Dans certains pays, il existe en effet une institution religieuse et caritative publique qui reçoit et gère les patrimoines qui lui sont en quelque sorte légués. Pour cette institution, l’opération est très bénéfique puisqu’elle fructifie son patrimoine, mais pour le conjoint et les enfants du défunt, c’est souvent dramatique parce qu’elle les déshérite.
Déshériter un de ses enfants n’est pas un acte anodin. C’est une sanction qui ne frappe jusqu’à présent que le descendant qui commet un crime grave contre son ascendant.
Le premier constat qui s’impose déjà à ce stade est que si l’on déshérite un descendant, comme par exemple celui qui choisit de vivre libre, digne et indépendant, on l’assimile à l’auteur de cette infraction abominable, alors qu’il s’est peut-être éloigné de sa famille pour des raisons légitimes qu’il veut garder dans son for intérieur. Par ailleurs, déshériter un enfant entre aussi en conflit avec le commandement du pardon qui permet de préserver la pérennité des liens
familiaux en particulier. D’un autre côté, déshériter un enfant pour sauver une fondation en difficulté ma paraît peu conforme à l’idée que l’on se fait des fondations qui elles-mêmes défendent la famille.
D’une part, la mesure envisagée risque d’entrer en conflit avec la loi de 1905 sur la laïcité et d’autre part, il est de notoriété publique que beaucoup de Français, fortunés ou pas d’ailleurs, contribuent déjà volontairement au soutien des associations en général, et des associations caritatives en particulier, financièrement ou via le bénévolat.
Du coup, quelle piste travailler?
VEILLE JURIDIQUE & NOTARIALE